Huis clos

Que diriez-vous d’un petit voyage en enfer ? Il paraît qu’on y hurle de plaisir ! Grâce aux brodequins, tenailles, plomb fondu, pincettes, garrots, fouets, vitriol et pals ; mais tout cela n’est il pas que légende ? L’enfer existe-t-il, ainsi que le paradis ? Tout cela ne serait-il que le pur produit de l’imagination de l’homme, alimentée, il est vrai, par de grands artistes comme Dante, Bosch et Breughel ? L’enfer, lieu redouté pourtant par des millions de pécheurs.  L’enfer décrit par Sartre est tout simplement un salon empire, sans miroirs, sans instrument de torture.  Rien qu’une souffrance de tête, un fantôme de souffrance, qui frôle, qui caresse et qui ne fait jamais assez mal - dixit Sartre.  L’Europe venait de connaître l’enfer sur terre, les camps de concentration, où Dieu n’est pas intervenu. Dieu n’existe pas, d’après Sartre et il le déplore. Aujourd’hui, certains le définiraient comme un mécréant, un blasphémateur.  A l’époque, on le (et il se) définissait comme étant un existentialiste athée. Et voici que débarquent dans ce lieu trois pécheurs, comme vous et moi. Au début, ils s’observent et au fur à mesure ils vont s’entre-dévorer, dans une lutte sans merci.  Mais pas de blessures physiques, rien que des blessures mentales.  Le lieu n’ayant pas de miroir, c’est le regard du partenaire qui servira de miroir et ce regard aura la force du vitriol.  Pas de bourreau non plus, c’est le partenaire qui servira de bourreau, c’est du self service. C’est cela le raffinement de l’enfer de Sartre, l’infernal et éternel huis clos.  «Rien ne se passe, personne ne vient, personne ne s’en va, c’est terrible».  Cette réplique n’est pas de Sartre, mais de Samuel Beckett dans En attendant Godot. C’est une vue de l’enfer pour Beckett. Huit ans plus tôt, Sartre écrivait : « Nous sommes en enfer. Personne ne doit venir. Personne. Nous resterons jusqu’au bout seuls ensemble. » La dernière réplique de Huis clos est : « Continuons ».  Continuons quoi ? À vivre ? Impossible, les personnages sont déjà morts. À mourir ? Impossible, on ne meurt qu’une fois. À jouer ? À se jouer éternellement la comédie ? À se faire dévorer éternellement par le regard de l’autre ?  Marcel DELVAL

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